Chaque fin d’année, l’agenda RH s’alourdit avec ce rendez-vous bien connu : l’entretien annuel. C’est un moment structurant, parfois redouté, mais rarement remis en question. On y évalue les résultats, on fixe les nouveaux objectifs, on fait le point.
Mais derrière cette mécanique bien huilée, une question essentielle se pose – plus souvent qu’on ne le pense, mais toujours à voix basse :
Est-ce vraiment le bon moment pour un salarié en souffrance ?
Burn-out, anxiété chronique, désengagement profond, retour d’arrêt maladie… Dans ces situations, l’entretien annuel cesse d’être un simple outil de gestion. Il peut devenir un poids de plus, un miroir déformant, un geste mal calibré.
Et pourtant, par automatisme ou par manque de repères, on le maintient.
Pour un collaborateur fragilisé, l’exercice n’est jamais neutre. Il sait qu’on attend de lui qu’il fasse le point, qu’il se projette, qu’il “revienne dans le rythme”. Mais intérieurement, tout résiste :
Alors il se protège. Il répond poliment, il esquive. Il fait bonne figure.
Mais sous la surface, la pression monte. On le pousse à parler d’objectifs quand il cherche encore à retrouver son souffle.
Ce n’est pas l’entretien qui est toxique en soi. C’est son inadaptation à l’état émotionnel de la personne.
Pourquoi le faire malgré tout ?
Parce que le système le prévoit. Parce qu’il faut cocher la case. Parce qu’on veut rester “équitable”.
Mais dans ces cas précis, l’égalité de traitement n’est pas de la justice. C’est une uniformisation qui nie les fragilités individuelles.
Et le ressenti qui en découle est souvent dur à verbaliser, mais réel :
“Je n’étais pas prêt. Et pourtant, on m’a fait passer cet entretien comme si tout allait bien.”
Ce décalage entre le format et la réalité crée une tension insidieuse. Une blessure discrète, mais durable.
Un entretien mal calibré peut laisser des traces :
Parfois, ce moment précipite une décision : poser sa démission, demander une rupture, ou se mettre en retrait émotionnellement.
Pas à cause d’une phrase mal dite.
Mais à cause de l’inconfort d’un rituel imposé, au mauvais moment.
L’entretien annuel reste un outil précieux. Mais il doit pouvoir s’adapter, se réinventer… ou se suspendre temporairement.
Voici quelques pistes pour accompagner avec justesse :
Repousser ne signifie pas fuir. Cela veut dire reconnaître que certaines discussions doivent attendre le bon moment pour porter leurs fruits.
Un salarié en difficulté n’a pas besoin de chiffres. Il a besoin d’un cadre d’écoute :
Tous les managers ne sont pas des psychologues. Mais tous peuvent apprendre à écouter sans juger, à repérer les signaux faibles, à proposer un cadre souple.
Psychologues du travail, médecins de prévention, référents QVT… Ces professionnels peuvent aider à calibrer la posture à adopter, voire à recommander des alternatives au format classique.
Pour éviter d’ajouter de la pression à une situation déjà fragile, voici les bonnes pratiques à adopter… et celles à éviter absolument.
Ne pas faire passer un entretien annuel à un salarié en souffrance, ce n’est pas renoncer à le suivre.
C’est choisir une posture ajustée, respectueuse, humaine.
C’est reconnaître que le temps du dialogue ne se décrète pas par un rendez-vous dans l’agenda. Il se construit, il s’adapte, il s’invente selon les circonstances.
Et parfois, le plus grand geste de management, c’est d’attendre.
Attendre que la parole retrouve sa place. Que la confiance revienne. Que la personne, avant le collaborateur, se sente reconnue.
Un projet, une idée ou une question ?